L'erreur

Sors avec moi s’il-te-plaît !

Je regarde avec stupéfaction le garçon planté en face de moi, ses yeux fermés, le rouge aux joues, se pencher en avant de manière vive et peu confiante. Sa pose indique clairement une demande sincère et pleine de gêne. Je le regarde, les yeux écarquillés. Il est vrai que j’aurais dû me douter que la situation allait tourner dans ce sens. Quand un garçon emmène une fille derrière le lycée, en fin de journée, pour qu’il puisse lui parler seul à seule, il y a de quoi mettre la puce à l’oreille. Pourquoi je n’y ai pas pensé avant ! Je suis sûre que ce lieu transpire de demandes de rendez-vous à plein nez. Tout le monde vient ici pour se confesser. Mais non ! Moi, naïvement, j’ai pensé qu’il avait une demande un peu gênante ou qu’il n’osait pas venir au club. Mais quelle abrutie ! Je me demande des fois où j’ai la tête. En même temps, ce n’est pas comme si je m’attendais à avoir une confession. C’est plus qu’inimaginable. Je le regarde, incrédule, attendre ma réponse à sa demande. Un garçon s’intéresse à moi ? Surtout qu’il est plutôt mignon. Je rougis d’un coup face à mes propres pensées. Je lui tourne d’un coup le dos pour cacher mes états d’âmes. Non, c’est impossible ! Et puis, je ne peux pas ! J’ai le club à gérer, les demandes, les cours … Ce n’est pas possible d’avoir un… un petit… Je me mets à crier intérieurement.

Est-ce que tout va bien ?

Je me rends compte précipitamment que je parle à voix haute. Pestant contre moi même, je lève la main, toujours de dos, pour le rassurer. Je jette un coup d’œil autour de moi cherchant une échappatoire à ce malaise pesant. Malheureusement, personne ne se rend derrière le lycée à cette heure-ci. Et à part trois arbres et un grillage pour m’aider, je suis seule. Je n’ai pas le choix. Je vais devoir affronter le problème en face. Je me retourne vivement, parlant fort et de manière assurée.

Je suis très touchée par cette demande. Mais, comme tu le sais, je consacre ma vie aux esprits. Ils m’ont donné un don et un devoir : aider les mortels dans leurs problèmes ! M’exclamé-je, essayant de rendre mes paroles épiques telles que dans les dessins animés, les bras levés vers le ciel.

Je continue mon discours de manière effrénée, tentant d’être la plus convaincante possible.

Je ne peux me détourner de ma route. Ils ont besoin de moi afin que la Terre soit un lieu de paix et d’amour.

Espérant que mon discours et ma réputation le dissuade de continuer, je le regarde à nouveau afin de voir sa réaction. Il se relève, le regard luisant. Par peur qu’il commence à pleurer, je me mets à paniquer mais il m’interrompt.

Je comprends. J’aurai essayé, mais je sais que vous ne devez pas vous détourner des esprits et continuer à aider les gens. C’est une chose que j’admire. Capable d’aider les autres comme vous le faîtes.

Prenant confiance en moi, je souris malicieusement, et pose ma main sur le cœur, regardant le ciel.

C’est mon devoir ! J’aiderai toute âme en peine dans ce bas monde. Donc je ne peux pas….

C’est ce qui m’a fait tomber amoureux, m’interrompt-il d’un sourire sincère.

La bouche tombant au sol, je rougis face à cette déclaration et détourne le regard. Comment peut-il dire quelque chose d’aussi gênant si facilement ?! Évitant son regard et tel un robot à cause de ma gêne, je m’avance peu naturellement vers le couloir du lycée, essayant d’échapper à cette situation très inhabituelle à mon quotidien. Néanmoins, il me lance une dernière phrase qui me fait m’arrêter.

Est ce que l’on peut rentrer ensemble au moins ?

Je me tourne vers lui pour le voir sourire de toutes ses dents. Je sens le rouge revenir au galop sur mon visage.

C’est compliqué…

– Je ferai des efforts ! Je ne parlerai plus de ma confession ! Vous oublierez tout de mes sentiments ! Je veux au moins devenir votre ami si possible.

Ami avec quelqu’un qui côtoie les esprits, c’est délicat à gérer, tenté-je de le dissuader, ne voulant pas l’avoir dans les pattes.

Je me suis préparé ! Je ne poserai pas de questions indiscrètes ! insiste-t-il, tout en s’approchant près de moi.

Je recule de quelques pas face à la proximité dont il fait preuve, me rendant mal à l’aise. Je pensais pouvoir refuser sa demande, partir et ne plus jamais en reparler. Mais il est insistant le bougre. Je n’arrive pas à trouver d’échappatoire dans son discours. Et, l’hypothèse que sa confession soit un coup monté reste possible. Je connais quelques personnes qui seraient capables de tout pour m’atteindre. Alors envoyer un sous-fifre jouer les acteurs de comédie romantique reste largement imaginable. La main sous le menton, je décide de l’observer plus attentivement, prenant sur moi quand nos regards se croisent. Ses poings sont tendus, ses joues rougissent, ses jambes crispées, et ses lèvres légèrement pincées. Il semble être plus qu’honnête. Certes, il ressent du stress comme pourrait en avoir un acteur mais son expression de visage ainsi que ses joues témoignent d’une implication émotionnelle. Donc, il est largement plus probable qu’il dise la vérité. Je souffle d’exaspération. J’aurais préféré une manigance. Il faut à tout prix que je l’écarte de mon rôle de prêtresse. Je n’aime pas utiliser ce genre de méthode seulement, je n’ai pas vraiment le choix.

Tu sais, les esprits peuvent être un peu capricieux parfois. Ce n’est pas la première fois qu’ils écartent quelqu’un parce qu’il fouinait trop, commenté-je, telle la voix off d’un film d’horreur. Je ne voudrais pas qu’ils te fassent du mal.

Il avale difficilement sa salive. Je l’ai eu. Pensant avoir gagné, je redresse mes cheveux en arrière, m’apprêtant à partir telle que ma réputation me décrit, en grande prêtresse. Mais c’est sans compter sur ses derniers mots :

Si… si c’est pour passer plus de temps avec toi, alors ce n’est pas grave.

Comme s’il avait marqué un but, je m’arrête dans ma course. Il n’a vraiment aucune gêne de dire des choses comme ça. Je tourne la tête légèrement dans sa direction, espérant quelque part qu’il se serait enfui après avoir dit de telles choses. Mais il est bien droit, rouge certes, mais droit. Il est têtu celui-là. Qu’est-ce qu’il faut faire pour le faire lâcher le morceau ? Alors que j’allais répliquer, il tente une dernière amorce :

C’est d’accord ?

Tel s’il venait de marquer un deuxième but, je rougis face à cette demande discrète. Je me retourne vivement dans l’autre sens, lâchant un léger oui, ne sentant pas le courage de refuser. M’enfuyant ensuite sans en attendre plus, vers les couloirs du lycée.

Je souffle un bon coup en marchant dans le couloir. Jamais je n’aurais pensé vivre une situation comme celle là. Un garçon qui m’avoue ses sentiments pour moi ! Depuis que je suis scolarisée, aucun garçon n’a fait attention à moi de manière romantique. Encore moins au lycée depuis que le club est ouvert. Évidemment, soit ils ont peur de moi, soit ils ont besoin d’aide. Donc ça ne laisse pas beaucoup de place au romantisme. Et puis, je n’ai jamais cherché à m’intéresser à l’amour. Seulement quand des requêtes m’y obligent. Cependant, aujourd’hui, je me retrouve dos au mur avec ce garçon qui m’avoue ses sentiments. Plus j’y pense, plus je trouve cela insensé. Lui aussi doit être insensé pour tomber amoureux d’une personne qui entend les esprits. Il faut que j’arrête d’y penser et que je me concentre sur le club, accompagnant mes pensées par un claquement sur mes joues afin de retrouver mes esprits. Le lycée est pratiquement désert à cette heure. Les élèves sont rentrés en courant chez eux afin d’échapper à ces lieux, et ceux qui restent sont les membres des clubs et quelques paresseux. Du premier étage, je peux voir les élèves du club de baseball s’entraîner sur le terrain en face du lycée. De temps à autre, on entend un coup de batte suivit de quelques acclamations. Dans cette animation, les sons des instruments du club de musique retentissent dans le vide de l’immeuble, provenant de celui d’en face, résonnant aussi dans la cour. Alors que j’avance, je me surprends à écouter attentivement la musique si légère. Une douceur qui apaise aussi mes tourments.

La déclaration t’a rendue toute chose ?

Je sursaute de peur. Alors que je croyais être seule dans le couloir, je me retourne pour trouver Rina derrière moi. Les bras croisés sous sa poitrine, elle attend une réponse.

Tu m’as fait peur Rina ! Ne te faufile pas derrière moi comme ça ! Combien de fois je te l’ai déja dit, grogné-je dans un râle, posant la main sur mon cœur pour essayer de calmer son rythme effréné.

Ce n’est pas ma faute si tu n’entends pas quand j’arrive derrière toi, alors que le bâtiment est vide, conteste-t-elle.

Je souffle d’agacement. Inutile de chercher à avoir raison avec Rina, c’est peine perdue.

À moins que tu étais perdue dans tes pensées à cause de la déclaration du beau Yuto, suggère-elle, la main sous le menton, faisant mine de réfléchir.

Comment tu es au courant pour ça ?! m’écrié-je, cachant ma gêne sous la colère.

Qui ne comprendrait pas que quand une personne t’emmène derrière le lycée à cette heure de l’après-midi pour parler en tête-à-tête, c’est pour se déclarer, réplique-t-elle, moqueuse.

Touchant le point sensible de ma stupidité, je baisse les yeux et continue à avancer en tapant fort mes pieds afin de montrer mon mécontentement. Elle me rejoint dans ma marche, l’air de rien.

Que lui as-tu dit ?

Que je ne pouvais pas. Que je devais me concentrer sur ce que me disent les esprits, avoué-je, essayant de reprendre confiance en moi.

Je vois, répond-t-elle simplement.

Je regarde Rina de manière perplexe. Je n’ai jamais su si Rina croyait à mon histoire des esprits. Tout le lycée le pense mais elle n’est pas aussi crédule que les autres. C’est ce à quoi on s’attend de la meilleure élève du lycée. Meilleure élève depuis son entrée au lycée. Première dans toutes les matières, toutes classes confondues. Excellente en sport et toujours impeccable. Rina est comme un idéal qui a réussit à prendre forme par je ne sais quelle manière. J’ai moi-même eu du mal à croire qu’elle veuille rejoindre le club d’occulte. J’ai tenté de refuser sa proposition mais elle sait se montrer persuasive. Et puis, avoir un tel atout pour le club est une aubaine. Soudainement, Rina s’arrête. À mon tour, je stoppe ma marche et me retourne vers elle.

Il faut qu’on trouve une solution pour le club, dit-elle avec sérieux.

Les professeurs menacent toujours de le fermer ?

Oui, ils sont venus ce matin à la salle du club pour faire le tour des environs. Cependant, comme j’étais là, j’ai pu tirer quelques informations.

Je n’en attends pas moins de mon assistante ! m’exclamé-je, fière.

Elle sourit en coin et continue :

Il nous faut un troisième membre pour éviter que la cause de la fermeture soit le manque de recrues. En plus, comme tu le sais, le club de journalisme n’aide pas à plaider notre cause, réfléchit Rina, les doigts sous le menton.

Ils n’ont pas supporté que je dévoile à tout le monde que certains de leurs articles étaient faux. Et maintenant, par vengeance, ils veulent nous faire couler aussi. Un cas typique d’ego mal géré. Ça leur passera. Par contre, pour le troisième membre, cela va me demander plus de réflexion. Il faut que je demande aux esprits qui est une personne de confiance.

Rina acquiesce et nous reprenons le chemin vers le club. Enfin, les esprits ne vont pas m’aider pour ce problème de troisième membre. Plus il y a de membres dans le club, plus la supercherie risque d’être démasquée. Je me demande comment je vais trouver une personne digne de confiance et persuadée que je suis réellement prêtresse. Ceux-là ne manquent pas dans le lycée mais les personnes de confiance sont plus rares à trouver. J’en ai la preuve tous les jours avec le club. J’y réfléchirai plus tard. Tout au bout du couloir du premier étage se trouve l’objectif de notre destination. En quelques pas, nous arrivons devant la porte. Je m’apprête à saisir la poignée mais Rina m’en empêche en bloquant le passage de son bras.

J’ai oublié de te dire que des gens attendent au club.

Quoi ?!

C’est pour ça que je te cherchais.

Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ! m’exclamé-je en ouvrant vivement la porte.

Parce que j’avais oublié, me réplique-t-elle en haussant les épaules avant que l’on entre dans la salle.

Nous rentrons dans une pièce sombre à cause des lourds rideaux pourpres qui donnent un effet mystique à l’ensemble. Des étagères remplies de livres couvrent les murs, attirant le regard sur le bureau au centre de la pièce de la même couleur. Le dessus du bureau est couvert de babioles magiques telle qu’une boule de cristal, des cartes, d’imposants grimoires et tout un tas d’autres objets inutiles. Un tapis aux symboles étranges avec du fil doré sur un ensemble pourpre orne le sol, recouvrant presque toute sa surface. Sur lui, se trouve deux chaises posées près du bureau où est assise une jeune fille. Celle-ci se lève à mon entrée et, je ne remarque qu’après, qu’une autre fille est adossée au mur à côté de la porte.

Prêtresse Sayuri ! Excusez-moi de vous déranger si tard, s’incline la jeune fille en se levant de la chaise.

Ce n’est rien, tu peux t’asseoir, réponds-je calmement avec une main dirigée vers la chaise.

Elle se rassoit doucement. Elle semble particulièrement mal à l’aise. Je la contourne pour m’asseoir à mon tour derrière mon bureau. Rina me suit pour s’arrêter debout à côté de ma chaise, tel un majordome. Je sens qu’il est temps d’entrer dans mon rôle. Je prends alors le temps d’analyser les deux jeunes filles devant moi. Mon examen commence par la jeune fille assise que je soupçonne d’être celle qui réclame mon aide. En premier lieu, je remarque le soin apporté à sa tenue. Elle a les cheveux attachés soigneusement en deux tresses qui se posent sur ses épaules, des bijoux tel qu’un collier et un bracelet rose autour du poignet. Elle doit accorder de l’importance à sa tenue vu que nous sommes en fin d’après-midi et qu’elle est toujours aussi pétillante que si elle venait de se préparer au réveil.

Je déplace mon regard vers l’autre fille. Accoudée au mur derrière l’autre élève, elle est l’inverse complet. Cheveux attachés négligemment en queue de cheval, sans maquillage, jupe longue, ainsi que la façon dont elle se tient contre le mur représente le contraire de celle qu’elle accompagne. En descendant mon regard vers ses bras, je remarque un bracelet similaire à l’autre fille à son poignet. Je me doutais qu’elle était son amie pour l’accompagner ici mais à la vue de ce bijou commun, j’en conclue qu’elles doivent sûrement être meilleures amies. Néanmoins, l’accompagnatrice n’a pas l’air enchantée de rester ici. Les bras croisés sur la poitrine en réflexe de défense, mâchoire tendue et le fait qu’elle ne soit pas à côté de son amie mais derrière elle, m’intrigue. J’arrête mon analyse pour me concentrer sur celle qui a besoin de mes services. À ce moment-là, Rina se penche vers mon oreille et me murmure un prénom. Je hoche la tête et commence à parler.

Très bien, Ayame. Dis-moi ce que les esprits peuvent faire pour t’aider.

À vrai dire, commence Ayame en se trémoussant sur sa chaise, je voudrais savoir qui a saccagé ma…

Elle ravale sa salive, baissant la tête en rougissant de plus belle, avant de terminer sa phrase.

Ma lettre d’amour.

Pour qui était cette lettre ?

Y-yoichi Saitô… Bégaie-t-elle, mal à l’aise d’en parler.

Mon regard pivote rapidement vers son amie qui se redresse un peu sur le mur. Visiblement, cette déclaration ne doit pas lui plaire.

Pour aider les esprits dans leur recherche, tu aurais une idée de qui a pu faire ça ?

Non, aucune.

Je ramène ma boule de cristal en face de moi pendant que Rina ferme un peu plus les rideaux, donnant une ambiance encore plus sombre à la pièce. Mes mains se posent de part et d’autre de la fameuse boule de cristal alors que j’entends les deux amies déglutir. Je commence à murmurer des mots incompréhensibles, plissant les yeux vers la boule transparente. Entièrement dans mon personnage, je commence à remuer mes mains autour de la sphère sous les yeux ébahis des invitées.

Ils veulent entendre la voix de ton amie sur cette affaire, annoncé-je en levant les yeux vers la visée.

Au moment où je prononce ces mots, son visage laisse apparaître une expression rapide et éphémère à laquelle je m’attendais : la peur. Les sourcils se soulèvent et se rapprochent vers le centre, les paupières supérieures se lèvent et en prime, un mouvement de gorge. Ces expressions microscopiques ne sont pas faites pour rester longtemps sur le visage mais elles révèlent la vraie nature des émotions de son hôte. On ne peut en aucun cas les contrôler ou les fausser comme une expression dite normale. Si cette fille était innocente dans cette histoire de lettre, elle ne serait pas habitée par la peur. Et, si sa peur venait des esprits, elle ne serait pas venue ou elle n’essaierait pas de la camoufler. Enfin, il y a plein de paramètres à prendre en compte, et sûrement des choses que je ne sais pas sur elle, mais, j’ai envie de suivre mon intuition.

Alors, les esprits me disent que tu es sa meilleure amie. Tu sais quelque chose sur qui a détruit sa lettre d’amour ? demandé-je en appuyant bien mes derniers mots.

Non, je n’en sais rien, souffle-t-elle d’une voix sèche en baissant les yeux, frottant son front de sa main.

Un signe typique de honte.

Je vois. On me montre dans la boule de cristal que ce fameux Yuichi est un très beau garçon. Il est très doué en sport, il est intelligent, il est populaire. Il a de quoi faire craquer les filles.

Ses narines bougent et elle renifle du nez pendant que son amie rougit face à ces compliments.

Les esprits me disent que le coupable est probablement une jeune fille. Oui, c’est une fille. Proche de la victime. Une fille avec un désir de protection. Oui, c’est ça, prononce-je d’un ton mystique donnant l’impression que l’on me souffle les informations. Elle est ici. Oui, le coupable est ici.

Je regarde sans ciller des yeux l’amie d’Ayame, la poussant à passer aux aveux face à la pression.

Oui, c’est moi, murmure-t-elle honteuse.

Quoi ?! s’exclame Ayame, se retournant vers sa camarade.

Oui, c’est moi ! hurle-t-elle. Tu étais tellement obnubilée par lui que tu ne m’écoutais pas. Je l’ai vu embrasser tout un tas d’autres filles. J’ai essayé de te le dire ! Mais tu ne m’écoutais pas ! répète-t-elle. Alors oui, j’ai détruit ta lettre mais c’était pour ton bien ! Je ne veux pas te voir souffrir !

Sa tête est restée baissée alors qu’elle hurlait ce qu’elle avait enfoui au fond d’elle. Sans apercevoir son visage, je comprends qu’elle pleure à la vue des larmes finissant leur chute sur le tapis. Je décide alors de prendre la parole :

Ses paroles sont sincères. Ses intentions étaient juste de protéger son amie qu’elle chérit tant. Les esprits m’ont dit qu’il est indéniable que le garçon en question est un coureur de jupon. Il n’est pas prêt pour avoir une relation sérieuse et saine avec quelqu’un.

Je me lève et pose ma main sur l’épaule d’Ayame, celle-ci toujours sous le choc de la révélation.

Ne lui en veux pas. Quant à ton amie, il vaut mieux en parler que d’agir dans le dos. C’est vrai qu’elle aurait dû plus t’écouter mais les mensonges n’ont jamais rien de bon.

Alors comme ça, tu vas le retrouver.

Mes poils se hérissent alors que je ferme la porte du club.

Tu dis ça comme si ça avait l’air romantique mais ce n’est pas du tout le cas. Il veut juste passer du temps avec moi en tant qu’ami, répliqué-je.

Tu oublies qu’il t’a fait sa confession tout à l’heure, arque d’un sourcil Rina.

Gênée par le sujet, je bredouille en mettant la clé dans ma poche.

C’est juste pour aujourd’hui. Je vais lui dire que ce n’est pas possible, que je suis trop occupée même en amitié. Et demain, tout sera oublié et chacun retournera dans sa petite vie tranquille. Je ne tiens pas à avoir de quelconque relation . Je suis occupée par les esprits. Je veux rester concentrer sur le club et nos requêtes, confessé-je, redressant la tête dans sa direction, prouvant que mes paroles sont sincères.

Je vois, dit-elle simplement en souriant légèrement.

Rina est autant investie dans le club que moi. Je ne connais personne d’aussi dévouée qu’elle. Sa présence reste un grand atout pour moi. Je lui souris en retour. Après cette échange, elle me tend sa main.

Donne-moi les clés, je vais les rapporter à la salle des professeurs. Va rejoindre ton amoureux d’un jour.

Mais je t’ai déjà dit que c’était pas ça !

Je laisse la clef retomber dans sa main pour m’enfuir à toute vitesse. Qu’est-ce qu’elle peut être têtue quand elle s’y met ! Descendant les escaliers du premier étage, je croise une longue chevelure brune que je reconnais immédiatement.

Mia ! m’exclamé-je en secouant la main pendant que je m’approche d’elle.

Ah Prêtresse ! sourit-elle.

Tu as vu Yuto passé ?

Yuto ? murmure-t-elle en penchant la tête. Pourquoi le cherches-tu ?

C’est compliqué, tu sais où il est ?

Je l’ai vu attendre au portail pendant que je revenais du club d’athlétisme.

Merci, réponds-je alors que je pars en direction de la sortie.

Je ne mets pas longtemps à l’apercevoir adossé au mur près de la sortie, le sac accroché à l’épaule. Il me fait un signe de la main et nous commençons à marcher ensemble vers la même direction. Aucun d’entre nous ne parle alors que nous marchons dans le lotissement adjacent au lycée. Je suppose que lui aussi se dirige vers le métro pour rentrer. Tout le monde part en métro de toute façon. Pendant notre balade silencieuse, j’en profite pour jeter un rapide coup d’œil au garçon à côté de moi.

Yuto Fujita.

Un garçon tout à fait normal. Taille moyenne, cheveux étrangement blonds. Je me rappelle de lui comme un garçon extrêmement gentil avec tout le monde. C’est quelqu’un de très souriant. Il est souvent entouré de plein de personnes. En même temps, vu sa gentillesse et son enjouement, il a de quoi se familiariser vite avec son environnement. C’est comme si, il irradiait la pièce dans laquelle il se trouve. Le seul bémol est sûrement son côté très enfantin par moment. Comme le fait de croire tout ce que dit tout le monde. De paire avec sa confiance trop immédiate. Certains en abusent pour lui faire des blagues sans grandes méchancetés. Surtout que ça le fait rire aussi. Un vrai petit chouchou. En y pensant, j’ai du mal à comprendre pourquoi il dit être amoureux de moi ? Ou du moins comment ? Nous n’avons jamais vraiment parler ensemble, à ma connaissance. Je l’ai entendu quelques fois parler avec les autres de mes prouesses magiques mais ça n’allait jamais plus loin. Ce n’est pas la première fois que quelqu’un parle de moi alors cela ne m’a pas préoccupé.

Trop plongée dans mes réflexions, je me cogne contre le dos du sujet de mes pensées. Je lève la tête en me massant le nez. Il me montre d’un signe que nous sommes arrivés devant le métro. Passant nos cartes dans les portails mécaniques, nous ne mettons pas longtemps à rentrer dans la rame. A cette heure-ci, il y a peu de monde dans la cabine. Juste quelques personnes qui rentrent du travail, une mère qui repart avec ses courses ainsi que quelques étudiants retardataires. Toujours dans mon analyse des lieux, je dirige mon regard vers les places assises au fond de la rame et je fronce les sourcils. J’aperçois une fille avec l’uniforme de notre lycée assise près de la fenêtre. Elle semble particulièrement mal à l’aise sûrement à cause qu’autour d’elle, se trouve un groupe de garçons avec le même uniforme. Ils paraissent être très insistants envers elle. J’en oublie complètement Yuto pour me diriger d’un pas décidé vers la seule place libre à côté d’elle. Je m’assois, croisant les bras et les jambes. Face mon geste, ils me regardent d’un air furieux, comme si je les interrompais. J’avoue que je ne suis pas à l’aise mais je me décide à parler, ne détournant pas le regard.

Les esprits se rappellent toujours, trait pour trait, de ceux qui embêtent les autres.

Pris de panique par ma menace, le groupe de garçons se lève en pestant quelques mots tout en se dirigeant vers l’autre bout de la rame. Comme je le pensais, ils me connaissent. Ma réputation a toujours son petit effet. Je souffle un coup et me tourne légèrement vers la fille. Je comprends leur comportement à présent. La fille à côté de moi représente sûrement la définition de mignonne. Cheveux courts, assez petite, grands yeux de biche, uniforme un peu trop grand pour elle. Voilà pourquoi ils étaient insistants. Elle lève timidement les yeux vers moi, les joues légèrement rosies et souffle :

Merci beaucoup.

Mince, je me sens moi même rougir face à cet acte si pur et si mignon. Je hoche la tête rapidement et me lève vivement. J’avais complètement oublié Yuto pendant cet aparté ! Je le vois me fixer avec des yeux surpris pour me sourire ensuite. Je le rejoins rapidement et m’excuse avec une voix si faible que je doute qu’il ait pu m’entendre. Voilà exactement pourquoi je ne peux avoir de relation de tout type. Si je ne veux pas me priver d’intervenir par prétexte que je suis occupée. Ou pire, je manquerais sûrement des gens qui ont besoin d’aide. Si j’avais été en train de roucouler, je n’aurais pas pu aider cette fille. Et si ma présence ne les avait pas fait fuir, que ce serait-il passé ? Je sens mes bras frissonner rien que d’y penser. Je ne peux définitivement pas laisser faire ça. Je suis désolée, Yuto, mais c’est bien impossible. Il faut que je trouve le bon moment pour lui dire.

Alors que le métro s’arrête, les portes commencent à s’ouvrir. Je jette un dernier coup d’œil à la fille du métro. Celle-ci me sourit timidement. Je réponds à mon tour. Cependant, alors que je m’apprête à tourner la tête, je remarque des tâches de peinture sur son col blanc. N’y prêtant pas plus attention, je sors de la rame. Elle doit faire partie du club de peinture. J’aperçois Yuto m’attendre encore. La culpabilité de l’avoir abandonné ressort alors que je le vois se diriger vers les escaliers pour rejoindre la surface. Il faut que je le retienne un moment. Je l’interpelle alors :

J’ai vu une machine à canettes et j’ai un peu soif, tu en veux une ?

Oui, je veux bien. Laisse-moi te payer, dit-il tout en fouillant son sac.

Non non c’est bon ! l’arrêté-je en secouant les mains.

Mais…

J’insiste, l’interromps-je avant de vite partir vers la machine.

Je marche un peu sur la carrelage blanc qui remplit la salle pour atteindre la machine un plus loin. Je m’arrête devant et me frappe le front. J’ai complètement oublié de lui demander ce qu’il veut. Tant pis, je vais lui en prendre plusieurs. Après moultes réflexions, je choisis plusieurs saveurs susceptibles de lui plaire. Tout ceci n’est qu’un prétexte pour le retarder et ainsi trouver les bon mots pour lui expliquer. Dès que j’aurai ramené les canettes, je lui dirai. Et puis, un peu de douceur sucrée peut aider à faire passer le message plus en douceur. Soudain, j’entends des pas derrières moi alors que j’attrape les canettes.

J’ai bientôt fini. Je voudrais juste récupérer ma monnaie et..

Je suis interrompue par un pied qui percute violemment la machine juste en face de moi. Une ombre gigantesque se dresse sur la vitre du distributeur. Une voix grave méconnaissable lance dans le silence de la salle de métro.

Tu en mets du temps. J’ai soif.

Je me retourne vivement. Je ne connais pas cette voix. La vision de la personne derrière moi me perturbe au plus au point.

Un garçon au sourire carnassier m’emprisonne avec son pied contre la machine. Ses cheveux blonds sont ébouriffés et sa cravate est détachée négligemment. Mais, c’est l’uniforme de mon lycée ! Et ces cheveux blonds ….Serait-ce Yuto ?

Alors, on dit plus rien ? se moque le garçon en face moi.

Ressentant comme une présence très imposante et inconnue, mes sens se mettent en alerte. Mais il m’est impossible de bouger. Non, c’est impossible que ce soit lui. Je n’ai lu aucune mauvaise intention dans ses actes et ses expressions. Et son attitude, sa tenue, son propre visage et sa voix ont complètement changé. Il aborde un air dur et arrogant qu’il n’avait pas il y a une minute de cela.

Je me serais trompée sur lui ?

C’est la première fois que ça m’arrive ! Et il fallait que ça soit avec un psychopathe qui cache très bien son jeu Prise de panique, je cherche un moyen de m’échapper de ce fou qui veut sûrement faire des choses peu catholiques avec moi. Je prends une canette d’une main lui balance en pleine tête. Il recule et lâche un juron. La panique monte si vite en moi que l’instinct de survie prend le dessus sur mon cerveau. Mes mains balancent les canettes restantes telle une mitraillette sur le champ de bataille en pleine face de mon adversaire, et je prends mes jambes à mon cou pendant qu’il tombe à terre à cause du choc reçu.

Je cours aussi vite qu’un guépard à travers les escaliers du métro, sors et me précipite vers la rue marchande à côté. Elle est bondée à cette heure-ci, il ne risque pas de me trouver parmi tant de visages. Mes jambes s’arrêtent et j’essaie de reprendre mon souffle, posant mes mains sur mes genoux.

Cependant, le choc reste présent dans mon esprit. Comment ai-je pu me tromper royalement sur lui ? Plus de 2 ans que j’ai le club, où je résous des affaires tous les jours avec succès et quand un garçon s’intéresse à moi, je ne vois pas que c’est un psychopathe ! Merde !

En plus, j’ai laissé ma monnaie …

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